ut pictura musica… asburgiana

Concert à la cour des Hasbourg
Denis Grenier
Ecrit par Denis Grenier

Biber, Froberger, Schmelzer, Walther

Concert à la Cour des Habsbourg

Ensemble Stravaganza

Aparté, AP041, 2012

 

A la Cour des Habsbourg au XVIIè siècle se succèdent Ferdinand III, 1608 – 1657, puis Rodolphe I, fils de Ferdinand, 1640 – 1705, Empereurs du Saint Empire romain germanique, deux représentants de la dynastie des Habsbourg particulièrement mélomanes, et même compositeur pour le second. Malgré la période profondément troublée et sinistre de la Guerre de Trente ans, de 1618 à 1648, qui retentit sur les différents royaumes et principautés de l’Empire, Vienne sera une capitale politique, économique, puissante et fastueuse, une métropole culturelle, particulièrement dans le domaine de la musique. 

Les musiciens de cette époque sont parfois des voyageurs, mais aussi avec la transmission par les maîtres ou les rencontres qu’ils peuvent faire à leur poste de musicien – instrumentiste ou compositeur, maître de chapelle, organiste, ou maître d’ensemble instrumental – dans diverses cours ou au service de prélats exercent-ils une dynamique particulière au centre de l’Europe. Les influences anglaises du consort et la suprématie franco-flamande avec une apogée de l’écriture contrapuntique s’estompent pour une ouverture sur l’Italie, où le violon prend son essor, où les couleurs se déploient, particulièrement à Venise, et où l’innovation de l’écriture avec la seconda pratica s’affirme ; les échanges entre le Nord de l’Italie et de toute la partie Sud de l’empire germanique sont nombreux. La musique de ce XVIIè siècle allemand est foisonnante, et un grand nombre de compositeurs laisse des œuvres vocales ou instrumentales touchantes et convaincantes, et de qualité.

Quatre de ces compositeurs exercent une activité d’instrumentiste à Vienne, et entretiennent des relations privilégiées avec les Princes de Habsbourg, comme on peut en prendre connaissance avec le Lamento sur la mort de Ferdinand III, pour cordes et orgue, de Schmelzer et en lisant la dédicace de la pièce pour clavecin de Froberger, « Lamentation, faite sur la très douloureuse mort de sa majesté impériale, Ferdinand le Troisième, et se joue lentement avec discrétion, 1657 » [« avec discrétion » signifie avec liberté]. Ils sont rassemblés ici avec un ensemble de pièces pour un « Concert à la Cour » avec le violon comme instrument privilégié, avec les Sonates de Heinrich Ignaz Franz Biber et de Johann Heinrich Schmelzer, une Suite de Johann Jakob Walther, et aussi la Lamentation pour clavecin, 1657 de Johann Jakob Froberger, puis le concert se clôt avec trois pièces pour guitare, False consonances of music, de Nicola Matteis, fils d’un violoniste étrange et brillant, surprenant et passionné, Nicola Matteis, le Napolitain parti à Londres.

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Portrait de Biber,    gravure de Paulus Seel     1680

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Le violon italien est non seulement adopté, mais porté à une expressivité virtuose, avec une fantaisie et une liberté qui demandent à l’interprète un engagement dans son jeu, une inventivité dans la multiplicité des gestes et des coups d’archet, une habileté liée à une musicalité de chaque instant. Ce sont ces qualités et ces traits singuliers qui sont partagés avec une intensité pleine d’émotion et de gravité par Schmelzer, le plus ancien de ces compositeurs, 1623 – 1680, poussés jusqu’aux confins de l’innovation et d’un lyrisme dramatique, entre rudesse, parfois violence et raffinement, avec Biber, 1644 – 1704, comme dans la Sonate n°5 a violino solo, 1681, dans laquelle l’expression exacerbée de notes rudes et répétées arrachées par l’archet comme des cris surprend, entre récit et sensualité, avec pour la pièce de Walther, 1650 – 1717 une inventivité mélodique et poétique, et une recherche d’effets sonores dans les mouvements de la suite issus de la danse.

La technique du violon est en recherche et la virtuosité est confrontée à la scordatura, ou désaccord de l’accord habituel des 4 cordes du violon, avec parfois croisement des cordes, jusqu’à une quinzaine d’accords différents dans les Sonates des mystères du Rosaire, de Biber, 1678, recueil duquel est extraite la Sonate La Crucifixion. « (..) Voici un recueil de pièces de toutes sortes pour lesquelles j’ai réglé les quatre cordes de ma lyre de quinze manières différentes — sonates, préludes, sarabandes, airs ; une chaconne, des variations, etc. et avec basse continue, travaillées avec le plus grand soin et la plus grande recherche que mes dispositions ont permis. Si vous voulez connaître la clé de ce nombre, la voici : j’ai tout mis sous le signe des Quinze mystères Sacrés que vous soutenez avec tant d’ardeur (…) » (Dédicace à Maximilian Gandolph von Khünburg).

Mais aussi pour la première fois l’usage de doubles et de triples cordes est requis, jusque dans les positions les plus aigües sur le manche, que demande aussi la musique de Walther dans une écriture polyphonique souvent complexe.

Un extrait du manuscrit d’une autre Lamentation

Lamento sopra la dolorosa perdita della R. Mstà di Fernandino IV, re de Romani

Froberger

Nationalbibliothek, Wien

[représentation de la montée au ciel du roi]

 

L’expressivité s’allie à une profondeur et une intensité dans l’émotion pour ces répertoires, avec des contrastes de toutes natures, une frénésie rythmique, des arabesques haletantes, de langoureuses courbes mélodiques, des traits acrobatiques, des cascades en triples croches, des dissonances étranges et surprenantes comme en équilibre instable, une imprévisibilité comme dans l’improvisation, et façonnent un ensemble singulier haut en couleurs et en affetti, partagé non seulement par les compositeurs brillants violonistes, mais aussi par Froberger, 1616 – 1667, organiste à la Cour de Vienne jusqu’en 1657, année de la mort de Ferdinand, et qui laisse une œuvre pour clavecin et orgue. Ce dernier a séjourné à Rome auprès de Frescobaldi, et à deux reprises, envoyé par l’Empereur. La Lamentation se fond admirablement dans le tableau composé par ce Concert, par ses traits et son allure d’improvisation, sa finesse et son pouvoir d’expression, jouée au clavecin seul avec “discrétion”, comme Froberger le souhaite, et avec délicatesse.

 

C’est un ton, une liberté offerte et demandée à l’interprète, une expression toute en relief avec lesquelles la rigueur et le jeu de la variation doivent composer. Les instrumentistes de l’Ensemble Stravaganza qui offrent ce Concert à la Cour des Habsbourg renouvellent à leur tour ces pratiques et cette innovation dans le style et l’interprétation, dans l’esprit des musiciens de la Cour dont l’oeuvre arrive jusqu’à notre époque. Le violon déploie une palette d’émotions, élégamment accompagné avec belle fluidité par une viole de gambe profonde, avec une grâce poétique, parfois au bord de la danse, et par le luth, qui apporte à la fois finesse et assise, dans une imagination fertile entre variations et diminutions avec la complicité du clavecin. La nécessaire virtuosité laisse place à l’expression musicale d’une grande véracité riche de contrastes, avec passion et enthousiasme, et la liberté et l’émotion atteignent la sensibilité au plus vif.

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Thérèse Bécue

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Il y a lieu de saluer ici la politique éditoriale d’Aparté, laquelle permet de faire connaissance avec une génération de musiciens de talent, communiquant une fraîcheur nouvelle à un répertoire déjà largement diffusé, objet de plusieurs enregistrements, y compris « canoniques ». D’autres découvertes sont à venir, nous aurons l’occasion d’en reparler ici. dg

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