ut pictura musica… Continuo… di Ferruccio Nuzzo – VI – Memento Mori – XVI.IX.XIII

Ferruccio Rembrandt
Denis Grenier
Ecrit par Denis Grenier

 

Aparte, AP059, 2013

 

 

Memento Mori                 

Musiche di C. Monteverdi e L. Rossi

Les Cris de Paris, Geoffroy Jourdain

 Aparté, AP059, 2013 (63′)

Un cd hors saison, mais cela vaut la peine de le garder dans votre mémoire pour les sombres jours de carême, après les éventuels excès de carnaval.

Il m’arrive rarement d’être si enthousiaste à l’écoute d’une nouveauté! La première raison de cet enthousiasme et d’une surprise émue est vraiment lointaine dans le temps. Il y a plus de cinquante ans, un protagoniste mythique et extravagant de la vie musicale romaine, Pier Maria Capponi, réunissait souvent dans sa maison au Forum de Trajan des amis, tous passionnés et patients, pour d’interminables soirées dédiées à ses découvertes musicales, griffonnées sur des feuilles sur lesquelles les portées avaient été souvent hâtivement improvisées.

Qui pouvait, chantait – selon ses moyens …; les autres écoutaient avec dévotion ces musiques qui, à l’époque, sonnaient à nos oreilles comme vraiment neuves, jamais écoutées, extraites du ventre sombre des Archives du Vatican, des fonds de la collection du cardinal Antonio Barberini, où depuis des siècles croupissaient des centaines de partitions, presque toujours dépareillées, et sans aucune indication d’auteur ou de titre. Piero avait réussi – je ne sais pas comment – à pénétrer ces lieux inaccessibles à l’époque au commun des mortels ; il fouillait, comparait, copiait ; une incroyable fortune l’amenait à reconstituer, cantates et oratorios, en associant les parties vocales aux instrumentales, bassi cifrati et bassi ostinati, et – je crains – en «  encourageant », de temps en temps, de sa propre main, quelques portées manquantes ou effacées à réapparaître.

Mais sa contribution la plus intéressante, même si elle était souvent arbitraire, demeurait les attributions. Comme j’ai écrit, il manquait presque toujours toute indication du nom du compositeur; il s’agissait de musiques « fonctionnelles », écrites à la suite d’une commission pour une occasion spécifique, – fêtes, cérémonies et célébrations, sacrées ou profanes – et, une fois utilisées, les partitions passaient aux archives – de l’église ou de la famille noble – dans l’attente d’une ultérieure et improbable utilisation, et de là, tôt ou tard – aux Archives du Vatican.

La seule source de renseignement était quelque fois les livres des comptes des commanditaires, dans lesquels étaient notés scrupuleusement les paiements aux compositeurs et interprètes, avec des indications qui – à travers un patient travail de recoupement – pouvaient conduire aux dates et aux noms des probables auteurs. De temps en temps un testament – à l’époque on y enregistrait tout, des menus objets d’usage quotidien aux feuilles de musique identifiées avec les incipit – c’est à dire des premières battues – venaient miraculeusement à la surface de ce fouillis, et, du coup, la lumière se faisait sur des dizaines – ou centaines – de partitions.

Et, à propos de ces testaments, Pier Maria Capponi avait un flair – et une chance –  extraordinaires. Mais comme il n’y avait pas à l’époque – autant que je sache – de photocopieuses, il devait se contenter de noter l’essentiel sur des feuillets dont il avait plein les poches a futura memoria (pour la mémoire future).

Il  découvrit, donc, des auteurs tels que Marco Marazzoli, Virgilio Mazzocchi et Luigi Rossi, entre autres, mit en lumière leur histoire, enjolivée par son imagination, et leur musique qui, justement, constituait le fond des concerts du soir improvisés dont je parlais plus haut. Et c’est ainsi que, pour la première fois, j’ai écouté ces musiques que je réécoute maintenant avec tellement d’émotion dans la splendide interprétation, certainement plus savante et complète,  des Cris de Paris de Geoffroy Jourdain.

Il s’agit de compositions vocales et polyphoniques sur un sujet à la mode à la fin du 16ème et début du 17ème siècle sur la perception de la fragilité terrestre et sur la brièveté de la vie à travers l’imaginaire collectif suscité par les grandes cérémonies religieuses comme le Carême ou la Semaine Sainte dans la tradition moralisatrice du 17ème siècle. Cérémonies qui avaient lieu dans les oratori, oratoires ou petites églises – comme la Chiesa Nuova ou le Crocifisso – conçues pour mettre en scène les sermons qui – tous les jours, sauf le samedi et le dimanche – alternaient avec la musique de petits ensembles : castrati, barytons et basses – pas de femmes, évidemment – accompagnés par des cordes, avec luth ou théorbe, clavecin ou orgue, pour les agrémenter – en les adoucissants en même temps – les foudres lancées de la chaire.

Disperar di se stesso et O cecita’ del misero mortale de Luigi Rossi sont deux cantates parmi tant d’autres écrites pour ces moments de pénitence qui attiraient non seulement la foule des fidèles romains – l’aristocratie et le peuple, qui remplaçaient ainsi l’opéra et les théâtres – par ailleurs, rigoureusement fermés – et les conversazioni – soirées mondaines et, surtout, musicales – mais aussi des fidèles venus de loin pour écouter les prédicateurs à la mode et surtout les chanteurs les plus prestigieux dans ces repentances, bien organisées, et, surtout, bien théâtralisées.

Le CD comprend aussi deux oeuvres de Claudio Monteverdi Chi vol che m’innamori et le Lamento della Madalena, parodie – anonyme – de celui d’Arianna et témoignage d’une autre pratique de l’époque, le contrafactum ou remplacement du texte pour une utilisation différente de la musique – dans ce cas, l’amante abandonnée cède la place à la pécheresse repentie.

Geoffroy Jourdain n’a pas une réputation spécifique, consacrée, en tant qu’interprète du répertoire baroque (il semble que les « baroqueux » rechignent lorsque’ils sont confrontés aux programmes de son ensemble Les Cris de Paris qui fréquente les époques et les styles les plus différents et éloignés, d’Antonio Lotti à Frank Zappa en passant par Schumann ou par un romantique presque oublié comme Theodore Dubois). Mais ce disque, qui puise à des  extraits du spectacle Tout est vanité mis en scène par Benjamin Lazar au printemps 2012, est l’illustration glorieuse des émotions d’un siècle où aussi – ou surtout – la tradition moralisatrice à travers la mortification des vanités s’exprimait par le truchement d’une représentation spectaculaire.

Pier Maria Capponi n’a jamais rien publié de ses recherches, connues et appréciées seulement par un nombre restreint de spécialistes passionnés. C’est pourquoi on ne le retrouve que ça et là dans quelque thèse de doctorat. Mais pour qui a eu la chance d’écouter ces musiques, pour la première fois, à la lueur d’une bougie ( seule concession faite à l’époque ) et avec l’accompagnement d’un piano droit désaccordé, ce disque a une énorme valeur sentimentale outre que musicologique… sans parler d’une interprétation exemplaire.

Un Qobuzissime a été attribué à Memento Mori.

 

Qobuz : http://www.qobuz.com/album/geoffroy-jourdain-and-les-cris-de-paris-monteverdi-rossi-memento-mori/3149028041422

Alla prossima…

 

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Critique musical aux côtés de Giorgio Vigolo (Il Mondo) et de Piero Dallamano (Paese Sera) dès le début des années ‘60, interprète du rôle de l’apôtre dans L’Évangile selon saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini (1964), Ferruccio Nuzzo a également été responsable avec William Weaver des programmes culturels de la Rai à destination des USA. Proche du pianiste Arturo Benedetti-Michelangeli, de la Callas et autres artistes, fréquentés à la Scala de Milan et ailleurs, il a participé à l’évolution culturelle de l’Italie en compagnie d’Elsa Morante, d’Alberto Moravia et de plusieurs autres intellectuels de la Péninsule.

Artisan avec des collègues de la création de Discoteca, premier mensuel de son pays dédié au microsillon, il a, plus récemment, été l’un des producteurs de l’émission Appasionata de la RCF (Radios Chrétiennes Francophones) consacrée aux nouveautés discographiques de musique classique.

Pour le site Internet Grey Panthers, http://www.grey-panthers.it/category/ideas/pensieri/musica/, il tient aujourd’hui la chronique hebdomadaire de récension discographique La Mia Musica, Suggerimenti d’ascolto.

Ancien photographe officiel du primat des Gaules, Ferruccio Nuzzo est surtout photographe de société ; on peut voir une partie de son œuvre sur le site http://www.flickr.com/photos/sorferru/.

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