ut pictura musica… sentita… Continuo XXIV.XI.XIII… Domenico Scarlatti

Stradivarius
Denis Grenier
Ecrit par Denis Grenier

Domenico Scarlatti

Complete Sonatas

Vol. 2 Toward modern pianism

Enrico Baiano

Stradivarius, STR 33844, 2013

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Quelques Sonates de Domenico Scarlatti 1685 – 1757 sont jouées sur les claviers d’un clavecin et d’un pianoforte, et est donné à entendre un univers en soi, un paysage sonore singulier qui, s’il propose des couleurs et des mouvements que l’on ressent assez vite comme familiers, plonge l’oreille dans une invention d’une infinie diversité qui sollicite le corps par le rythme, la danse, l’émotion, le sentiment, la passion jusqu’à l’affect de l’âme.

Dans cet immense jardin, tout chante dans une liberté faite musique. Pour la plupart des sonates, une forme binaire structure la pièce, avec pour chaque partie une reprise, et au sein de cette contrainte formelle s’invente une prolifération de thèmes avec une fantaisie créative, de l’inattendu jusqu’au contraste fulgurant, et se déploie un langage à nul autre pareil de ce napolitain devenu compositeur espagnol.

Contemporain de J S Bach, Händel, F Couperin, Scarlatti part dans la péninsule ibérique en 1720, au service de Maria Barbara à Lisbonne, puis à Madrid lorsqu’elle deviendra Reine d’Espagne par son mariage avec Ferdinand VI. Il y est son professeur, et claveciniste à la Cour.

La richesse et la grande ouverture de son écriture ont pour origine avec la musique baroque italienne, la simple inventivité des thèmes de Canzones, la souplesse de la modalité avec ses couleurs, le contrepoint et ses imbrications, la fantaisie des Toccatas de Frescobaldi, la connaissance depuis l’enfance de l’opéra – il était aussi un bon chanteur – mais aussi la fréquentation de la musique populaire de l’Andalousie et le flamenco ancien, que ce soit par son chant ou sa danse, ou plus tard la musique de la rue à Madrid, la présence de la guitare, ses cordes pincées et son jeu, entres notes répétées et accords battus, puis la possibilité de toucher les instruments de son époque tels le clavicorde et le pianoforte florentin (Cristofori) à la Cour. L’évolution du langage à cette époque, entre la musique andalouse et son jeu entre chant aux tournures improvisées et accompagnement à la guitare, et la musique pour clavier avec la recherche du tempérament en ce dix-huitième siècle, donne place à une invention harmonique qui lui est particulière : à un jeu de modulations parfois lointaines jusqu’à l’étrangeté se joignent dans l’accompagnement certains accords qui intègrent des notes étrangères à l’accord, comme des appogiatures tenues, ou acciacature, et ces accords extrêmement dissonants sont ponctuels, et frappés tels quels.

« Beaucoup de fracas »

                                                      Jean-Philippe Rameau

Parfois, certaines pièces annoncent l’écriture de Joseph Haydn, l’improvisation modulante de Beethoven avec ses violents contrastes, Clementi, la mélodie cantabile de Schubert, et de nombreux compositeurs s’y intéresseront tels Brahms, Messiaen, ou Belà Bartok qui le jouait, paraît-il, avec un toucher merveilleux sur son piano.

 

L’interprète est invité a fortiori à jouer ces sonates au clavecin ou au pianoforte, comme a choisi Enrico Baiano, ou au clavicorde parfois, pour se confronter à un toucher, une liberté qui se manifestent dans une souplesse des tempi entre les passages chantés et les passages au rythme plus rigoureux, le goût de l’improvisation qui se manifeste non seulement dans le tempo et les trilles, mais aussi dans des mélismes d’ornementation, et un jeu d’accents parfois marqués avec agressivité, percussifs avec les dissonances. La reprise, tradition baroque, est l’occasion de diversifier son jeu : une même page peut être jouée de tant de manières diverses.

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Sa musique est l’expression des sentiments, des passions humaines,

joie, exubérance, nostalgie, désespoir,…

Ses pièces reflètent un ensemble de tant de situations émotives et de contrastes

dans une composition fort réduite et dense.

                                                                              Emilia Fadini

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Enrico Baiano joue soit sur un clavecin aux sons bien présents, au timbre plutôt nasal, soit sur un pianoforte comme aurait pu toucher Scarlatti, selon la spécificité de la sonate : proche de la musique vocale, ou avec des éléments du folklore andalou, une suite plutôt gaie ou une grande fresque avec des états d’âme et des parcours intérieurs, pour communiquer ce qu’on veut dire, comme au théâtre, comme des personnages sur une scène :

changer d’humeur, de tempo, suivre la scène, avec les notes répétées, les sauts,

 les polyphonies imbriquées, la vitesse, les contrastes et les surprises,

faire chanter comme une voix et accompagner d’une manière discrète, …

                                                                             Enrico Baiano

Il joue avec une vivacité pleine de couleurs, la liberté d’une grande fantaisie, une habileté qui fait chanter les cordes, et c’est avec une fine poésie qu’il fait sonner ces multiples Sonates pour une musique infinie.

 

                                                                 Thérèse Bécue

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Enrico Baiano joue les pièces de Scarlatti sur trois instruments :

Un clavecin, Olivier Fadini, d’après un instrument de Christian Kroll, 1770, un clavecin allemand à Lyon : c’est un instrument plus allemand que français, avec une extension du clavier de cinq octaves à cinq octaves et demi, du do grave au sol aigu.

Un second clavecin, Olivier Fadini, copie d’un superbe instrument de Etienne Blanchet de 1733, de type franco-flamand.

Un pianoforte, Ugo Casiglia, d’après un instrument de Gottfried Silbermann, 1749, très proche des pianoforte florentins, comme ceux qui furent acquis à la Cour d’Espagne, et à la Cour du Portugal.

 Le tempérament est inégal, avec quatre quintes pures et les autres quintes différemment réduites de manière à ce que les tonalités soient toutes agréables, mais que chacune sonne légèrement différemment des autres.

(traduction du livret de Enrico Baiano)

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http://player.qobuz.com/#!/album/8011570338440

 

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