L’humeur de juin : principes

Alain Duault
Ecrit par Alain Duault

Il est toujours curieux d’observer la bruyante exigence d’une application de « principes » de la part de ceux qui sont par ailleurs si prompts à s’enflammer soit contre la routine soit contre la nouveauté. Ainsi, ceux qui vitupèrent la fameuse Regietheater, à l’allemande, que Gerard Mortier a importée à l’Opéra de Paris et qui nous a donné le pire (Les Noces de Figaro par Marthaler) et le meilleur (Don Giovanni par Haneke), sont les mêmes qui, au nom de principes (édictés par qui?), prétendent interdire à Nicolas Joel de mettre en scène à l’Opéra de Paris à présent qu’il va en prendre la direction!

Or ils devraient au contraire se réjouir d’avoir l’assurance de mises en scène soignées, respectueuses des œuvres sans être pour autant passéistes. Car Nicolas Joel a, depuis plusieurs décennies, fait ses preuves sur toutes les scènes du monde comme un metteur en scène qui s’inspire en tout premier lieu de la musique, de ses structures, de ses rythmes, qui essaie toujours de raconter une œuvre pour aujourd’hui – sans resituer nécessairement,  dans un premier degré primaire, n’importe quelle œuvre dans un prétendu « aujourd’hui » mais en l’éclairant depuis le point de vue d’aujourd’hui.

 

Pour autant, quand il transporte Aïda à l’époque de sa création, en 1871,  il trouble cette fois les consciences des tenants d’une imagerie à l’ancienne qui prétendent y voir éternellement la reproduction animée des statues du musée duCaire! Ce sont ceux-là, cette fois, qui s’inquiètent de voir sur la scène de « leur » Opéra ces « débordements », cette «modernité » qui dérangent leur digestion lyrique! L’opéra est un art suffisamment fort pour résister à tous les traitements mais le désir de beauté demeure le plus petit commun dénominateur des spectateurs qui se rendent dans ses temples parce que la beauté offre un chemin vers la vérité : « Tant qu’il existera des fragments de beauté, on pourra encore comprendre quelque chose au monde » écrit Guido Ceronetti.

 Au nom de quoi un metteur en scène qui vient de nous donner l’un des plus beaux Chevalier à la rose de ces  dernières années, qui a su l’an dernier inventer des images saisissantes pour faire revivre Le Roi d’Ys, qui a inventé  un Ring poétique et morbide ou une Carmen sortie tout droit de Goya, au nom de quels « principes » lui interdirait- on d’exercer son art à Paris, c’est-à-dire de priver le seul public de l’Opéra de Paris des réalisations d’un véritable artiste? Est-ce un nouvel effet de notre masochisme antinational?

Daniel Mesguich, le directeur du Conservatoire, parlait récemment non  seulement du pouvoir mais du devoir de mettre en scène quand on est directeur : il faut revendiquer le même devoir pour Nicolas Joel à l’Opéra de Paris!