Martine Zuber du label Corélia

Martine Zuber

L’histoire de Martine Zuber est belle comme l’histoire d’une rédemption par le capitalisme à visage humain, celui du dirigeant-propriétaire !
Avant de diriger Corelia, un label créé il y a quarante ans est consacré aux instruments à vent, et uniquement aux instruments à vent, Martine Zuber était syndicaliste.

Elle raconte : “J’ai racheté Corelia il y a un an et demi à Monsieur et Madame Eggermont, qui partaient à la retraite. J’ai rencontré Madame Eggermont à un concert, nous avons échangé les cartes, elle m’a dit qu’elle voulait vendre sa boîte ! J’étais à l’époque Secrétaire nationale à la fédération communication et culture de la CFDT, en responsabilité notamment dans l’édition phonographique, en démarrage de la négociation sur la convention collective, alors que les plans sociaux dans les majors explosaient…”

“Je suis une mélomane depuis toujours et le catalogue de Corélia m’a impressionné: une vraie niche, où se croisent le monde professionnel et le monde amateur.

La musique d’Orchestre d’harmonie et de Batterie-Fanfare ou de fanfares représentent une valeur symbolique forte : une musique populaire, de rue, qui permet un brassage social et de générations :  le boulanger, le médecin, l’ouvrier, l’ingénieur…..le retraité, l’ado du conservatoire, la prof de musique du collège, etc… C’est une musique de solidarité, de générosité qui ne laisse personne indifférent quand ce type d’orchestre joue sur une place, sur un kiosque, dans la mairie ou devant le monument aux morts…”
“Corélia a un fond militaire important car en France, il n’y a pas d’orchestres d’harmonie ou de batteries-fanfares civils professionnels, les seules formations professionnelles sont militaires. Corélia a donc un patrimoine double : toutes les musiques cérémoniales et protocolaires, dont les hymnes nationaux – et de la création pour vents par les formations militaires.”
“Nous subissons un peu la difficulté très française du mépris pour les vents (qu’on a du mal à ranger dans les bacs classiques…) et pour le militaire quand bien même ces formations ne font pas que du militaire…”
“Depuis le rachat, j’ai réalisé plusieurs productions, dont un coffret pour les 90 ans de la fin de 14/18, avec des marches inédites de compositeurs qui ont voulu exprimer leurs sentiments patriotiques (Reynaldo Hahn, Saint Saens, Schmitt, Halphen…) et des mélodies savantes ou populaires écrites dans les tranchées ou pour des amis ou fils dans les tranchées (Debussy, Hahn, Vellones, chanson de Craonne, Lily Marlen, etc…)”
“J’ai aussi réalisé un CD avec les pompiers de Paris, un CD avec les Gardiens de la Paix où nous avons travaillé sur la citoyenneté (les grandes marches de la République Française) autour de la devise “Liberté, Égalité, Fraternité” et des emblèmes nationaux sonores de la république (Chant des marais, Chant des Partisans, etc….), un CD sur les hymnes de l’Europe avec une carte d’Europe et un travail éditorial sur le contenu des hymnes. L’idée est d’arriver à “dé-ringardiser” ce type de musique, et sortir du rapport haine/passion.”
“Car l’hymne peut renvoyer à un nationalisme exacerbé… et en même temps sur un stade ou autres manifestations sportives, l’hymne fait vibrer.

Je fais aussi la part belle aux solistes de premiers rang tels Guy Touvron, à la trompette. Et d’autres signatures sont en cours.”

“Et puis, j’ai créé un nouveau label : L’Algarade (étymologie : lutte armée !). C’est un nom poétique et guerrier, car dans la musique aujourd’hui il faut se battre pour défendre les artistes, la création, la production… C’était aussi le nom de mon premier journal syndical. La ligne éditoriale est très ouverte : chanson française avec l’album “Petit Pépé” de Vermeulen, qui contient de très beaux textes avec des arrangements classiques, et des interprètes impressionnants: Daugareil au violon, Zygmanowski au piano, etc.. L’auteur et le dessinateur de BD Etienne Davodeau à la plume… Musique Classique avec Songe, mais encore des sonates et croquis de Roger Boutry pour piano et violon, la distribution des deux sonates de Pierre de Bréville – et une création musicale en bouclage pour piano, violon, tuba et choeur d’enfants, avec le vrai conte raconté par Coline Serreau !”

“La production est un travail de passion et de militantisme. C’est une période difficile. En attendant la mort du CD, il faut le défendre avec de la valeur ajoutée : belle pochette, qualité musicale impeccable… Une autre difficulté fut pour moi de passer de l’autre côté de la barrière, du syndicalisme à la production : même combativité mais changement de posture, risque financier majeur et milieu difficile quand on vient de l’extérieur. J’ai numérisé tout le catalogue de Corélia qui est accessible sur les plateformes de téléchargement légal (et bientôt sur Qobuz !). Corélia fait également de l’édition musicale et des ventes de partitions pour ensembles à vent, et possède un studio d’enregistrement mobile, spécialisé dans les orchestres à vents, dont s’occupe Christophe Mazzella, qui est l’ingénieur son, et le directeur artistique pour les deux labels.”

Rompez !

Photo : Jean-Baptiste Millot
Texte : Hannah Krooz

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