Au début des années 80, c’était avant le DVD, bien avant, le quartier populaire du boulevard de Strasbourg à Paris, avec déjà ses magasins spécialisés de coiffures “afro”, comportait encore plusieurs cinémas à la programmation oscillant entre la troisième vision et les film X, ou Z.
La Scala, L’Eldorado, le Brady, le Paris-Ciné ne faisaient pas d’ombre aux grandes salles des Champs-Elysées. Le principe même de ce genre d’établissement permanent lissait l’arrivée des spectateurs tout au long de la journée : le Paris-Ciné n’était pas de ces cinémas formatés que l’on connait aujourd’hui, où l’on va voir un film recommandé par Télérama muni de sa carte UGC, en passant par la case pop-corn. On entrait au Paris-Ciné pour le film quelquefois, c’est vrai : on se souvient d’y avoir vu Taxi Driver en VF. Mais l’établissement s’avérait surtout très utile à l’humanité souffrante, vous avez compris pourquoi : pour visionner une copie bien fatiguée de Benazeraf ou une scène inoubliable de Claudine Beccarie, ou pour ne pas dormir dehors, ou pour économiser une chambre d’hôtel à son beau légionnaire. Oui, le Paris-Ciné rendait d’immenses services aux amoureux les plus variés, et on sait combien l’humanité est, pour la musique comme pour le reste, un immense plateau de fromages.
Au Paris-Ciné, une caissière hors d’âge faisait l’accueil, et quoiqu’elle fût l’unique employée de l’établissement mis à part le projectionniste, elle assurait l’ordre avec un certain courage physique, en descendant de temps en temps avec comme seule arme sa lampe de poche, pour admonester les clients, les encourager à se rhabiller fissa, ou ne pas entraver le passage d’autres habitués.
Mais quel rapport, direz-vous, entre le Paris Ciné de ces années-là et le très honorable Pierre Dyens ici photographié un jour de mars dernier en son domaine ?
Aucun ou presque, si ce n’est le lieu, ce Paris-Ciné admirable que Dyens a racheté il y a un peu plus de dix ans, courageusement rénové, et dont il a fait un endroit désormais très recommandable (quoique, sans sexe aucun selon nos informations), et même aux abonnés de Télérama !
Deux salles de cinéma, mais pas seulement : un beau et grand piano à queue Fazioli aussi, et une vocation : “Musique et cinéma”. Des films sur la musique, des concerts, et peu à peu, un lieu assez atypique et libre de la vie musicale parisienne est né. Un espace de liberté appréciable en matière de programmation, une salle qui égrène ses bonnes surprises semaine après semaine, dans un joyeux foisonnement qu’il faut suivre attentivement pour ne pas rater la perle, cet artiste qu’on n’a pas entendu depuis des années, et qui passe là, presque confidentiellement. Une sorte de cabaret, un lieu désormais indispensable à Paris.
Et de cette activité de concerts est né enfin un label discographique : Saphir Productions, qui déploie une double spécialité, classique et jazz, et a produit à ce jour 80 albums environ. Saphir recèle des trésors, à découvrir en téléchargement sur Qobuz.
Photo : Jean-Baptiste Millot
Texte : Hannah Krooz