Mohamed Gastli, BeeJazz

Mohamed Gastli

Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. Mais dans le domaine de la production discographique, indépendante, bien dure, croire en son étoile et ne pas trop douter plus qu’une necessité est un impératif, qui ne doit jamais entamer la fraîcheur. Quand on est un jeune homme, produire d’abord l’enregistrement, porter en studio les artistes là où ils doivent être, publier ensuite, diffuser, promouvoir, faire la publicité et quelques années plus tard avoir dessiné un dessin, un parcours, un destin à ses productions – ce qu’on appelle un catalogue, n’est pas donné à tous. Et il faut surtout convaincre, trouver les moyens et les alliés, et se rendre aimable.

Voilà où Mohamed est très fort : il possède cette gracieuse cool-attitude, une nonchalante fermeté : il semble ne douter de rien, mais sans prétention aucune. Il arrive à sa table le matin avec un feeling de plus, sa soirée de la veille, au club ou au concert. Ce n’est pas un don auquel il croit, une infaillibilité personnelle, qui lui lèverait tout doute. Pour lui comme pour ses semblables, qui ont embrassé la pratique de produire parce que toute autre activité eut été sans intérêt, c’est l’oreille qui compte. Donc, Mohamed croit son oreille. Il entend et sent, c’est son fond de commerce. Moins intéressé par tout le reste, la paperasserie et les délais de rendu des épreuves à l’imprimeur.

Son chemin de production fait penser aux “portraits chinois” qu’on trouvait à la page “jeux” des quotidiens : en reliant les points entre eux avec un stylo, on formait une image, bien cachée dans le nuage. C’est ainsi que se forme un catalogue qui a de l’allure, et un sens – ou pas. Plus tard, avec ses incartades et ses dérapages controlés, ce chemin devient un guide pour l’amateur – on écoute la dernière production de tel label, parce que, au-delà des artistes inscrits sur la pochette, cela implique une vision, un style, une idée de la musique.

Il est probable que Mohamed ne fera plus grand chose de son diplome d’ingénieur chimiste, ce faux passeport dont il s’est servi pour infiltrer la scène jazz de la capitale lorsqu’il a quitté sa Tunis natale. Mais, si l’on ose abuser de la métaphore, il n’a pas tout à fait quitté la chimie en produisant des disques, et de la musique. Ecoutez ses derniers opus, parus sous le label BeeJazz, et écoutez aussi le premier projet discographique du nouvel ONJ de Daniel Yvinec, dont il a accompagné l’aventure…

Un peu plus sur BeeJazz :

Le site Myspace
A télécharger en qualité CD et Studio Masters sur Qobuz.

Photo : Jean-Baptiste Millot
Texte : Hannah Krooz

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