L’actualité fournie de ce Printemps arabe a déjà relégué au second plan l’évolution de la situation en Egypte dont les médias ne se soucient plus guère. Pourtant, ce qui suit une révolution est souvent plus important que la rupture qu’elle a provoquée. Détruire, c’est souvent nécessaire, pas toujours facile, construire, c’est long et difficile.
Le Caire peut s’enorgueillir d’un opéra et de deux orchestres, l’un pour le lyrique et le ballet, l’autre pour le concert, l’Orchestre symphonique du Caire, dont c’est la 52e saison.
A l’origine, il y avait dans la capitale égyptienne un opéra construit au moment de l’inauguration du Canal de Suez et qui devait accueillir la création d’Aida. Mais Verdi n’avait pas fini en temps voulu et c’est Rigoletto qui fut représenté. L’Orchestre symphonique vit le jour sous le régime de Nasser. Pour compléter les ressources locales on fit appel à des musiciens du bloc soviétique avec lequel le régime entretenait alors des relations privilégiées. L’Opéra historique fut détruit dans un malencontreux incendie en 1971, mais la place sur laquelle il se tenait porte encore le nom de Midan Opera (place de l’Opéra) alors qu’un parking l’a remplacé. Depuis 1988, Le Caire dispose d’un nouveau complexe offert par le Japon, avec notamment trois salles (dont un espace de plein air) et un musée d’art moderne.
Chaque saison, je viens travailler le répertoire français avec l’Orchestre symphonique qui n’a pas beaucoup d’occasions de jouer notre musique. L’esthétique de cet ensemble est difficile à définir : de jeunes instrumentistes égyptiens ont remplacé au fil des années les « musiciens importés », mais le style russe reste d’autant plus prédominant que ces aînés étaient aussi enseignants. A la nouvelle génération, certains ont parfait leur formation en Europe occidentale ou aux Etats-Unis et l’essentiel des efforts d’Ines Abdel Dayem, la directrice de l’orchestre, porte sur la cohésion, la rigueur et la curiosité pour élargir le répertoire, autant de qualités qui ne sont pas naturelles dans les pays du pourtour méditerranéen. En une semaine de travail, le résultat est incroyable car, par nature, l’Egyptien est vif et accueillant, mais faute de tradition bien ancrée tout repose sur un fil et, chaque année, il faut tirer des couches profondes de la mémoire ce qui a été semé.
Le monde arabe montre depuis quelques années une grande curiosité à l’égard de notre musique symphonique. On a vu naître des orchestres à Beyrouth, Damas, Amman, au Qatar, sans oublier la Turquie où la tradition est plus ancienne. Le Caire peut s’enorgueillir du droit d’aînesse, lourde responsabilité car une fois passé l’enthousiasme de la jeunesse, il faut transformer l’essai.
Quelle sera l’incidence de la récente Révolution sur ces structures musicales ? Dans l’immédiat, l’orchestre doit surmonter le choc psychologique des récents évènements et de six semaines d’inactivité. De telles épreuves ébranleraient la cohésion du moindre groupe. Pour la suite, j’aimerais ne pas être pessimiste, mais dans un pays qui a besoin de tout pour nourrir une population des plus pauvres, les nouveaux élus n’auront-ils pas tendance à considérer le coût de la musique occidentale comme un luxe élitiste dont il faut réduire l’ampleur ? Ce risque réel qu’ont connu et que connaissent aujourd’hui les orchestres de l’Europe de l’Est, les musiciens égyptiens semblent ne pas l’appréhender. La découverte des diverses formes de liberté prime dans l’immédiat. Chacun veut sa part de gâteau, ce que l’on peut comprendre dans une certaine mesure. Mais un jour, les technocrates découvriront qu’inviter des spectacles « clé en main », c’est moins coûteux et moins compliqué que de créer et entretenir un tissu culturel. Aux musiciens égyptiens de montrer qu’ils ont un rôle important à jouer dans la nouvelle Egypte.