Musique et médecine

Alain Pâris
Ecrit par Alain Pâris

Une étude très sérieuse a montré qu’une coloscopie pratiquée en écoutant du Mozart développait l’efficacité du gastro-entérologue dans sa recherche des polypes. La musique dite « classique » ou « grande » a donc de plus en plus de vertus ignorées. J’en étais resté à l’incitation commerciale au travers de la publicité (excellente analyse du pouvoir mozartien en la matière due à François Lafon dans Musikzen). Je sais aussi que les loubards prennent la fuite des centres commerciaux où la musique d’ameublement habituelle est remplacée par un fond sonore mozartien ou beethovénien. Je sais enfin que bon nombre de médecins sont de grands mélomanes ou musiciens amateurs avertis. Mais tout ceci est dépassé. Nous arrivons à un stade nouveau que tout musicien professionnel doit appréhender car nos prestations pourraient devenir de précieux auxiliaires de santé publique, une façon de lutter contre le déficit de la sécurité sociale… au même titre que le chocolat qui n’est toujours pas remboursé dans le traitement des dépressions.

Si Mozart est considéré comme un bon chasse-polype, il n‘y a pas que lui ; d’autres musiciens semblent voués à un avenir prometteur. Au bloc opératoire, rien de trop rythmé, cela risquerait d’induire des gestes regrettables. Mais nul doute que les anesthésistes pourraient avoir recours à quelques adagios lancinants commis par des maîtres baroques de second plan ou quelques compositeurs académiques du XIXe siècle. Imaginons la consultation préalable : « Vous fumez ? combien de paquets par jour ? ». OK, un adagio nebuloso d’Alberto Pentatolini (le grand rival méconnu d’Albinoni). « L’alcool ? Pas trop ? Sportif ? un peu ? ». Un andante tedesco de Johann Matthias Thiopental (un lointain successeur de Buxtehude à Niederschlaf). Pour les profils à risques, quelques mesures de Bartolo Thane (néovériste postvivaldien) feront l’affaire. Sinon, penser à Rossini dont Un profond sommeil (Péchés de vieillesse) ne présente aucun risque.

Une fois le patient endormi, il faut faire la part de l’incidence du choix sur le chirurgien et sur le subconscient dudit patient. Quelques Gymnopédies, Gnossiennes ou Petites Pièces montées semblent appropriées pour guider le scalpel. Eviter les Pièces froides ou les Avant-dernières pensées, trop lourdes de conséquences. La Symphonie inachevée aurait aussi un goût prémonitoire à proscrire (j’entends déjà les plaisanteries de salle de garde). Et pour maintenir le patient dans un calme propice au travail de l’homme de l’art, une berceuse s’impose. Celle des laboratoires Solveig est très rafraichissante. Une autre signée Joe Celain des laboratoires Godard convient également. Mais éviter celle de Chopin, on ignore s’il était déjà tuberculeux au moment où il l’a écrite ; risque de contagion entre les notes !

Notre patient est maintenant convalescent. La musique va l’aider à se refaire une santé. Pour les beethoveniens, le finale de la Sonate « Les Adieux » fort justement appelé « le Retour » s’impose. Mais mieux vaut commencer avec le Quinzième Quatuor et son « Cantique de reconnaissance d’un guéri », en mode lydien certes, mais c’est moins grave que son cousin mixo.

Si Beethoven est indiqué dans bon nombre de pathologies, il est absolument proscrit chez les ORL. Vous imaginez une consultation bercée par une musique de sourd ! Généralement, on vous prescrira Chostakovitch et son Nez. Tant pis si ça débouche sur de la chirurgie esthétique. Autre problème, musique protégée, droits d’auteur. La consultation subira un dépassement proportionnel à sa durée (SACEM oblige).

Chez le dentiste, la qualité de l’installation sera encore plus cruciale qu’ailleurs, car les décibels devront couvrir les manipulations sonores. La couronne risque d’augmenter. Mais quel bonheur d’entendre sous la fraise Zerline chanter « Vedrai, cari no ! » ou d’être bercé par les enregistrements de Marcel Cariven. Frank Bridge devrait être mis à toutes les sauces.

Le mal du siècle est incontestablement le domaine où la musique semble la mieux armée pour aider la médecine : j’ai nommé le mal au dos. Enfantin : une simple transposition que votre logiciel Sibelius ou autre vous fera en un clin d’œil et vous serez débarrassé de ces douleurs… au profit d’autres. Ce qui risque d’être inquiétant c’est la découverte d’un univers inconnu, car L4-L5 on connaît, mais mal au ré, ou mal au mi, c’est plus énigmatique. Et si votre température monte jusqu’à 415, bonjour les dégâts.

Non restons sérieux, la musique ne saurait se substituer à la médecine. Elle peut l’accompagner avec modestie. Le rôle du pianiste derrière un soliste ou un chanteur. L’exemplaire Igor Wagner au côté de la Castafiore. Au mieux, un remboursement à 15%.

Et quand le principe de cet accompagnement musico-médical sera généralisé, quelques critères s’imposeront dans le choix du médecin. Auriez-vous confiance en un médecin qui vous traiterait avec les airs du Docteur Bartolo ? Le Docteur miracle conviendrait à certains, Doktor Faust ça se discute, mais mieux vaudrait éviter Le Médecin malgré lui. Finalement, Satie reste une valeur inébranlable : Chez le Docteur, n’est-ce pas plus rassurant ?

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