Musique et violence

l’Orchestre philharmonique du Liban
Alain Pâris
Ecrit par Alain Pâris

L’an dernier, je m’inquiétais dans l’un de mes billets de l’avenir de l’Orchestre philharmonique du Liban, après la disparition de son président fondateur, Walid Gholmieh. Le mois dernier, je suis appelé à diriger à nouveau cet orchestre dont j’apprécie la spontanéité et le potentiel. Nous préparons un programme très éclectique sur le double thème du voyage et du mélange des cultures, allant de Rossini à Ravel en passant par Borodine, Satie, Smetana et la création d’une œuvre d’un compositeur libanais, Iyad Kanaan.

La répétition générale n’était pas terminée depuis deux heures que survenait l’explosion de la voiture piégée où le chef des services de sécurité libanais a trouvé la mort. Par chance, aucun des musiciens de l’orchestre n’était resté dans les parages et mes pas m’avaient conduit dans une autre direction. Etat de choc général : cette ville grouillante de vie en temps normal, bruyante, exubérante, était devenue en un rien de temps silencieuse ; concert annulé, retrouvailles inachevées.

Sur un autre continent, un chef d’orchestre de 35 ans, Rodolfo Casares, directeur musical à Bremerhaven, en Allemagne, est depuis le 9 juillet 2011 entre les mains d’un cartel de la drogue au Mexique, probablement victime d’une homonymie. Malgré le versement d’une rançon de 100 000 dollars, malgré de nombreuses démarches, aucune libération. L’otage oublié. Ce n’est pas un journaliste, ce n’est pas une star médiatique ni un ténor de la politique. Qui s’intéresse à un chef d’orchestre ?

Plus curieuse, cette série d’incidents au sein de l’Orchestre de chambre de Géorgie qui, comme son nom ne l’indique pas, réside près de Munich à Ingolstadt. Certains musiciens ayant demandé la démission du directeur musical, Lavard Skou Larsen, certains de ses partisans au sein de l’orchestre ont pris sa défense contre cette démarche qu’ils jugeaient inopportune. Le ton monte, des coups s’échangent. Une partie de l’orchestre se retrouve à l’hôpital.

Ce n’est pas le premier exemple d’un chef d’orchestre « débarqué » par ses musiciens. Cristian Mandeal en a fait les frais à la Philharmonie Georges Enesco de Bucarest voici deux ans : pour avoir refusé de limoger la violon solo de l’orchestre que ses collègues semblaient ne pas apprécier outre mesure (malgré son grand talent), le directeur musical a provoqué une levée de boucliers qui a conduit à son départ après dix-neuf ans de bons et loyaux services.

Ailleurs, tel artiste fait les frais des querelles diplomatiques entre deux pays et se voit refuser un visa. Il n’y a pas si longtemps, les autorités soviétiques ne se privaient pas pour sanctionner les musiciens « mal pensants » ou qui exprimaient un peu trop volontiers leur désaccord avec le régime : Slava Rostropovitch et Galina Vichnievskaia, ce n’est pas si vieux. Et si l’on descend sur l’échelle des violences, les tracas (ou le chantage au surcoût) imposés par les compagnies aériennes aux instrumentistes à cordes, n’est-ce pas aussi une forme d’agression ?

Qui a dit que la musique adoucissait les mœurs ?

Malheureusement, la violence n’a jamais épargné le monde musical. Leclair et Stradella sont mortsassassinés, Alkan n’a pas survécu à la chute d’un gros livre dans sa bibliothèque (le Talmud) qu’il a reçu sur la tête, Webern a été victime d’une balle perdue à la libération de Vienne, Schulhoff, Krása, Ullmann, Pavel Haas n’ont pas réchappé des camps de la mort nazis, Cimarosa a passé quatre mois en prison pour avoir fait preuve de sympathies républicaines, et aujourd’hui Fazil Say est traduit devant la justice turque pour les raisons que l’on sait.

Pourquoi se taire ?

Laisser un commentaire