Ecrire…

Alain Pâris
Ecrit par Alain Pâris

… n’est-ce pas la vocation de tout compositeur ? Oui, coucher sur le papier « ces petits crochets qui lui font gagner beaucoup d’argent », comme disaient les paysans du domaine de Busseto à propos de Verdi, rien que de normal. Remplacez les petits crochets par des consonnes et des voyelles, ça devient une autre histoire. Les écrits des musiciens, leur correspondance constituent une autre face de leur personnalité. Une autobiogaphie sera plus ou moins sincère. Souvent complètement vide, tel un catalogue de voyagiste ou une liste d’hôtels.

Richard Wagner

Richard Wagner

La correspondance, c’est autre chose ; c’est un miroir qui ne se contente pas de renvoyer le reflet que l’auteur souhaite léguer à la postérité. On ne triche pas dans des lettres. D’ailleurs, quand Wagner écrit à Liszt, il est évident qu’il ne pense pas à publication. Donc, courrier en forme de miroir. Et parfois il est bien dur ce miroir, car l’amitié ne fonctionne pas toujours dans les deux sens. Certes, ils s’aiment bien les deux copains ; ils s’aiment même lorsqu’ils sont devenus beau-père et gendre (après un petit tunnel d’assimilation : imprévisible Cosima, on a frôlé la brouille). Face au théoricien Wagner, face à ses écrits virulents contre l’aristocratie, le carnet d’adresses de Liszt s’avère bien utile pour rattraper les dégâts ou ouvrir des portes qui seraient restées hermétiquement closes à l’intransigeant auteur de Parsifal. N’allons pas croire que Richard vivait sur son nuage. Non ! Il a un message à faire passer, et comme il a le meilleur banc d’essai au bout de sa plume, il ne s’en prive pas.

Franz Liszt

Franz Liszt

Au fil des quelque quatre cents lettres qu’ils ont échangées (presque toutes retrouvées), c’est la gestation de Tristan ou de la Tétralogie qui transparaît avec autant d’éléments techniques et théoriques que de détails de la vie quotidienne. Wagner se plaint du moindre petit bobo comme des situations où il risque sa vie. Au caractère entier qu’on lui connaît s’opposent l’instinct diplomatique et le sens des relations de Liszt. Sans lui, Wagner n’aurait jamais pu retrouver le chemin de l’Allemagne après les événements de 1848. Leur correspondance suivie commence à la fin des années quarante ; intense pendant une dizaine d’années, irrégulière par la suite, elle se prolonge jusqu’aux derniers moments de la vie de Wagner. Dans la nouvelle édition que publie Gallimard, Georges Liébert a complété cet échange d’abondantes notes et de lettres qui impliquent d’autres proches de ces deux génies, notamment Hans von Bülow. Le vrai visage de Wagner se trouve peut-être dans les lettres que lui adresse Liszt. Admirable patience dont il a su faire preuve pour préserver leur amitié.

Liszt, Wagner et Cosima

Liszt, Wagner et Cosima

Alain Galliari s’est penché sur ces deux personnages, d’abord avec Franz Liszt et l’espérance du Bon Larron, plus récemment avec Richard Wagner ou le salut corrompu. Le titre du premier ouvrage confirme l’impression qui se dégage de la correspondance. Le second se situe dans une optique bien différente : les héros wagnériens s’inscrivent dans une quête du salut mais aucun n’y parviendra par manque d’humilité. Tous plus orgueilleux les uns que les autres. Tiens, tiens… Un autre miroir ? Liszt ne s’y trompait pas qui voulait convertir son ami. Peine perdue.

 

A lire :

Franz Liszt et Richard Wagner, Correspondance, nouvelle édition présentée et annotée par Georges Liébert, Gallimard, Paris, 2013.

Alain Galliari, Franz Liszt et l’espérance du Bon Larron, Fayard, Paris, 2011.

Alain Galliari, Richard Wagner ou le salut corrompu, Le Passeur, Paris, 2013.

 

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