Désagréments musicaux

Alain Pâris
Ecrit par Alain Pâris

Le musicien a-t-il une vie de tout repos ?  Comme tout honnête citoyen dans le cadre de ses activités professionnelles, il est parfois confronté à des situations insolites qu’il faut gérer avec sang-froid. Un mien collègue m’avait confié la raison pour laquelle il ne pouvait se passer de pupitre. Cet homme, de grande taille, souffrait de vertiges qui s’estompaient par le simple fait de toucher le pupitre de la main gauche. Facile à gérer. Oui, mais lorsque le pupitre est mal bloqué, il descend insensiblement à chaque tourne de page. Et cette descente aux enfers est proportionnelle à la durée de l’œuvre. En l’occurence, un opéra dont l’acte concerné durait environ une heure. Vous l’imaginez accroupi pour tourner ses pages ou lutter contre ses vertiges. « Le pauvre homme » aurait dit Beaumarchais à propos de Don Basile.

Au rayon vestimentaire, tout peut arriver. D’abord l’oubli : nous l’avons tous connu, moi le premier, arrivant à proximité de la salle Favart et réalisant que ma veste d’habit est restée à la maison. Ceci, un samedi de décembre. A proximité des grands magasins. Oublions le taxi, il reste le métro. Par chance, personne n’a eu l’idée de se jeter sur la voie et j’arrive à rejoindre ma loge… trois minutes avant d’entrer en scène. Pour la petite histoire, le régisseur ne s’est pas aperçu de mon retard (et son portable était sur boite vocale). On m’a dit que j’avais dirigé l’ouverture avec une énergie inhabituelle… Décompression oblige !

Une fois dans l’action, d’autres désagréments peuvent survenir : le nœud papillon qui lâche par exemple, au beau milieu du mouvement lent d’un concerto de Haydn. Seule solution, le caler sous le menton. Dans un mouvement lent, ça va. 1ff023a97afbcc43b58e265b97af07995e7a8b81Mais vient ensuite le finale, où le corps est moins statique, même si l’on dirige avec sobriété. Et voilà que mon soliste (violoniste) découvre la situation et pique un fou rire contagieux qui se propage dans l’orchestre. Haydn avait vraiment le sens de l’humour ont dû penser les auditeurs.

La baguette du chef d’orchestre est un objet dangereux, surtout si elle lui échappe. Ce dont fut victime un éminent collègue. Je reste persuadé qu’il ne souhaitait pas viser l’altiste (une jolie femme) assise face à lui. Privé de tout contrôle, l’objet volant bien identifié finit sa course dans le décolleté de la dame dont les avantages étaient ornés d’un large collier. Celui-ci cèda sous le choc de cette attaque imprévue aussi bien que… non, pas mortelle. Perles et autres objets qui voisinaient sur le fil ne se firent pas prier pour jouir de cette liberté inespérée et chacun s’éparpilla en tout sens, sous le regard d’abord affolé de l’initiateur de ce drame, vite relayé par un fou rire général qui donna au mouvement de symphonie un caractère hoquetant.

Les cordes des violons ou les clés des clarinettes qui cassent, ce n’est pas si rare. Côté percussions, les incidents sont heureusement moins fréquents. Les cymbales sont munies de sangles qui permettent aux percussionnistes d’assurer solidement leur prise avant de frapper fortissimo. Un jour, une sangle lache. La cymbale décolle, planant au dessus de l’orchestre à la recherche d’une victime éventuelle avant de venir se ficher dans le sol, juste img111entre deux violonistes. Les conséquences auraient pu être dramatiques. Pour conjurer le sort, lorsque j’opérais derrière les micros de France Musique, j’avais imaginé un poisson d’avril autour de cet incident : certains fonctionnaires bruxellois auraient élaboré une directive européenne obligeant les responsables des orchestres de l’UE à soumettre toutes les paires de cymbales à un contrôle technique effectué par des entreprises indépendantes, naturellement situées hors de l’UE pour des raisons d’impartialité. Chaque orchestre devrait donc expédier toutes ses cymbales dans le pays désigné sans savoir sous quel délai il pourrait les récupérer. Donc, les programmes devraient tenir compte de cette carence en attendant le retour au bercail desdites cymbales. Hénaurme, n’est-il-pas ? Eh bien, vous pouvez me croire, c’est passé comme une lettre à la poste.

A propos des retards, ici ce n’est pas le chef qui est concerné. Nous sommes salle Pleyel (une salle dont on dira bientôt qu’on y donnait jadis des concerts classiques…), Yves Prin s’apprête à diriger la Symphonie n°2 de Dutilleux, œuvre qui fait appel à un petit groupe de solistes réunis en arc de cercle entre le chef et le reste de l’orchestre. Notre chef entre en scène et va lever les bras lorsque son regard fixe une chaise vide. Celle du trompettiste, en l’occurence Roger Delmotte, coincé dans les embouteillages. Le chef sort de scène. Conciliabules (à l’époque il n’y avait pas de portables). Le régisseur — qui n’avait rien vu — suggère qu’on inverse l’ordre du programme. Les musiciens qui ne jouent que la symphonie de Dutilleux sont donc invités à quitter la scène. D’autres s’apprêtent à entrer et au milieu de ce petit ballet arrive enfin notre trompettiste. Travelling arrière, rires appuyés en salle.

Plus discret, mais non moins angoissant, je m’apprête à diriger Le Festin de l’araignée de Roussel. Le musicien qui tient le célesta n’est pas arrivé. Joint sur son portable, il est aux prises avec la maréchaussée pour avoir roulé un peu vite. Que faire ? L’accord de l’orchestre se prolonge. Le public tousse. Le téléphone sonne. Il est libéré et fonce (raisonnablement). Calcul rapide : il lui faut 7 minutes pour arriver. Il ne joue qu’après la huitième minute. Ça doit marcher. Le régisseur fait reculer le célesta à la limite des coulisses pour qu’il puisse prendre possesion de son instrument sans être vu. J’entre en scène, salue longuement. Non. Je ne dirige pas plus lentement (j’ai lu dans vos pensées), j’allonge seulement les temps morts entre les mouvements. Mais l’angoisse monte. Soudain, une minute avant le gong, le voici. A quoi pensent les chefs en dirigeant ?

Le pire, c’est le bruit insolite. Karl Richter dirige Un Requiem allemand de Brahms, salle Pleyel (oui, on y donnait des concerts classiques). L’orgue électronique qui trône au milieu 1de l’orchestre a la fâcheuse manie de grincer. Il en faut davantage pour déstabiliser notre kapellmeister qui retourne en coulisse après deux mouvements ainsi perturbés et obtient qu’on trouve une solution (tout simplement condamner le registre coupable). Mais c’est parfois moins simple : dans le grand studio de la maison de la radio à Budapest, nous enregistrons avec Georges Pludermacher un concerto de Wissmer. Troisième et dernière session, il reste une heure pour finir d’enregistrer le finale. Nous sommes dans les temps. Sans compter les caprices du ré dièse. Probablement vexé pour une raison inconnue de nous, ce ré dièse se met à « zinguer » (vibration typique, profondément agaçante, et dont la cause est généralement introuvable). On appelle l’accordeur. Sa clé magique n’a aucun pouvoir sur le ré…volté. Impossible de continuer, le passage à enregistrer est truffé de ré dièses.54-Bela-BARTOK-212x300 L’un d’entre nous manipule le couvercle, on cherche du côté du support. Rien. Je m’appuie sur la partie rabattue pendant que Georges frappe sans arrêt sur son ré dièse et soudain, miracle. Mais dès que je relache la pression, rebelotte. Finalement, mon pull over glissé entre le couvercle et ladite partie rabattue semble donner satisfaction. Ce ré dièse (qui nous avait fait perdre dix minutes) n’aimait que le cachemire.

Dernier acte, le plus récent. Le mois dernier, enregistrement d’une symphonie de Philippe Chamouard dans la grande salle de l’Université de Cluj, siège de la philharmonie locale. Par prudence, les services ont été planifiés le samedi et le dimanche pour éviter les bruits de voisinage. Les producteurs de disques connaissent bien ces inconvénients qui ont relégué les enregistrements à l’église évangélique allemande ou à Notre-Dame du Liban dans des créneaux horaires où ne circule aucune rame de métro parisien. A Cluj, tout semble calme. Sauf… des travaux dans une rue avoisinante, même le week-end. Je lis encore dans vos pensées, marteaux piqueurs et compagnie. Non, il ne restait plus qu’à placer les pavés autoblocants, main d’œuvre silencieuse s’il en est. Mais pour déverser le sable destiné à leur assurer un petit lit douillet, le camion chargé de cette préparation avance et recule, en alternance. Bip, bip, bip, bip, dit au loin la marche arrière.

Vous voulez faire carrière dans la musique ? Première qualité requise, des nerfs d’acier.

 

 

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