Triomphe d’un genre « mineur »

Alain Pâris
Ecrit par Alain Pâris

Après avoir vu l’opéra condamné à mort dans les années post-soixante-huitardes pour irréalisme outrancier, invraisemblance chronique et surcharge pondérale généralisée des protagonistes, l’opérette s’était vue réserver un sort analogue relevant davantage de l’indifférence provoquée par la médiocrité d’une partie des productions proposées. Comme tous les chefs de ma génération, j’ai eu la chance de faire mes premières armes lyriques avec des opérettes, chance qui relevait hélas souvent du parcours du combattant tant ce qu’on appelait les « traditions » en jargon scénique prenaient le dessus sur le texte écrit : coupures arbitraires, transpositions, répliques ajoutées du genre « T’as de beaux yeux, tu sais » ou « Qu’est-ce Shakespeare vient faire ici ? » (écho pseudo phonétique du fameux « j’expire » du trio de La Belle Hélène), celles-ci constituant encore des exemples tolérables car ça pouvait aller beaucoup plus loin.

Jacques-OffenbachTolérable, c’est là où se pose toute la question, qu’est-ce qui est tolérable ? Ce que metteurs en scène et chanteurs (cautionnés par des directeurs d’opéras élevés dans cette tradition) faisaient subir au répertoire de l’opérette et de l’opéra-bouffe, personne n’aurait admis qu’on en fit de même avec les ouvrages de Mozart, Gounod ou Wagner. On leur réservait un autre sort en leur attribuant un « message » que leur auteurs n’auraient jamais imaginé. Mais là n’est pas mon propos puisque ces quelques lignes m’ont été inspirées par les récentes représentations de La Belle Hélène au Châtelet et des Mousquetaires au couvent à l’Opéra-Comique. Quel chemin accompli ! Heureusement, la tendance avait commencé à s’inverser il y a déjà quelque temps avec une volonté de professionnalisme qui ramena dans les salles un public, certes pas toujours du premier âge, mais qui prenait un véritable plaisir à redécouvrir ces ouvrages dans des productions soignées et respectueuses. Laurent Pelly et Marc Minkowski au service d’Offenbach, Fanny Ardant ou Denis Podalydès pour Messager, Michel Fau pour Reynaldo Hahn, pour ne citer que quelques récentes productions parisiennes.

Et il serait injuste d’oublier les scènes régionales qui ont toujours maintenu ce répertoire en vie. Le public de l’opérette porte lunettes et cheveux blancs, et alors ! où est le problème ? On ne cesse de nous dire qu’il faut rajeunir le public, qu’il faut s’adapter aux goûts des générations montantes. D’accord, mais il faut savoir aussi satisfaire le public existant. Et la désaffection qu’a connu l’opérette vient peut-être de ce jeunisme systématique qui est responsable de bien des errements en termes de marketing musical et de communication.

Des jeunes qui s’intéressent à l’opérette il y en a ; lorsque j’œuvrais derrière les micros de France Musique, je ne me privais pas de faire partager ma passion pour ce genre musical trop souvent considéré comme mineur. Et je me souviens de messages enthousiastes, signés d’adolescents ou d’adultes à peine trentenaires. De même, Benoît Duteurtre est loin d’avoir atteint le troisième âge, et il en était encore plus loin lorsqu’il commença sa croisade sur les ondes et à l’écrit pour redonner à l’opérette ses lettres de noblesse. Assez de clichés, le succès des récentes productions le montre bien, il y a un public pour tout, et il remplit les salles lorsqu’on lui propose des spectacles de qualité.

La Belle Hélène, acte III. Théâtre du Châtelet © Marie-Noëlle Robert

La Belle Hélène, acte III. Théâtre du Châtelet © Marie-Noëlle Robert

Mais, telle Ishtar, la qualité revêt bien des visages. En matière de spectacles lyriques, elle s’appelle sobriété pour certains, nouvel éclairage pour d’autres. Les excès du passé ont été remplacés parfois par des changements d’époques et de lieux plus ou moins audacieux. Si on se limite aux ouvrages dits légers, le procédé fonctionne mal. Je connais l’argument, plus ou moins fallacieux : le genre de l’opérette étant porteur de piques envers le régime de son temps, le public d’aujourd’hui n’aurait pas la culture nécessaire pour comprendre la plupart des allusions d’époque. Faux ! Les meilleures répliques de Meilhac et Halévy fonctionnent aussi bien vis-à-vis de nos gouvernants qu’à l’égard de Napoléon III. Et l’actualité réserve parfois des surprises … d’actualité, lorsque Agamemnon affirme de manière péremptoire « C’est la Grèce qui paiera ! ».

La production de La Belle Hélène proposée par Giorgio Barberio Corsetti et Pierrick Sorin avait le mérite de faire du neuf sans écarter l’ancien. On a beaucoup lu sous la plume de ceux qui avaient déjà vu leurs précédents spectacles que le procédé du dédoublement scène/écran ne se renouvelait pas, du déjà vu en un mot. Mais pour qui découvrait cette approche, c’était une fenêtre vers des horizons nouveaux. Une impasse, peut-être, mais tant que l’on reste dans l’impasse, la réussite est indéniable. Peut-être trouve-t-elle ses limites si l’on cherche à en sortir. Avec en plus la prestation remarquable de Gaëlle Arquez, l’une des meilleures Hélène que j’ai eu l’occasion de voir ou d’entendre, et de Jean-Philippe Lafont, truculent Calchas.

Les Mousquetaires au couvent © Pierre Grosbois

Les Mousquetaires au couvent © Pierre Grosbois

L’approche de Jérôme Deschamps dans Les Mousquetaires au couvent est totalement différente. On connaît son penchant pour les gags et autres canulars anachroniques qui détournent parfois l’attention dans des moments montés avec beaucoup de sensibilité. Entre sa trop sobre production des Brigands à la Bastille il y a une vingtaine d’années et ces mousquetaires déjantés, quel chemin. 758_001Lui-même ne se prive pas de quelques excès dans le rôle du Gouverneur, mais l’ensemble fonctionne très bien car l’essentiel est respecté : un travail musical de qualité (malgré certaines erreurs de distribution), une mise en situation qui respecte l’air du temps sans chercher entre les lignes et les portées une signification qui ne serait pas celle des auteurs.

La Salle Favart va maintenant fermer ses portes pour d’importants travaux. Le Châtelet n’annonce aucune opérette française la saison prochaine. Il faudra voyager.

 

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