Notes de lecture

Alain Pâris
Ecrit par Alain Pâris

Francis Poulenc avait la plume facile. Il y a un quart de siècle, Myriam Chimènes avait publié chez Fayard un fort volume consacré à sa correspondance ; du moins à une part de sa correspondance, car les lettres à sa nièce Brigitte Manceaux y étaient pratiquement absentes (et censurées en partie). L’édition d’une correspondance implique des choix, notamment lorsque des lettres touchent à la vie privée de personnes encore vivante. Depuis, le temps a fait son œuvre, les risques d’indiscrétion se sont estompés et la totalité des 192 lettres conservées a pu être publiée par Pierre Miscevic (Orizons, Paris, 2019). Brigitte Manceaux était très proche de son oncle. Pianiste de talent, elle fut aussi son assistante et sa confidente. D’octobre 1941 à la veille de sa mort, on peut suivre la vie du compositeur dans ses petits détails, ceux qui éclairent et qui révèlent la personnalité des individus. Le travail de Pierre Miscevic est absolument remarquable avec plus de 1400 notes, index, chronologie et biographies qui offrent des éclairages précieux sur les circonstances évoquées et les personnages. Pas de fausse pudeur non plus : Poulenc avait une fille qu’il n’a jamais reconnue et dont seuls quelques proches connaissaient l’existence. Tout est expliqué et permet de mieux comprendre la complexité de la vie affective du compositeur. 

Bruno Monsaingeon avait l’art d’apprivoiser certains musiciens. Au travers de ses films et de ses livres, il nous a livré des aspects moins connus de Glenn Gould, de Yehudi Menuhin ou de Sviatoslav Richter. Il avait réalisé plusieurs documentaires avec le chef d’orchestre Guennadi Rojdestvenski qui ont finalement donné lieu à un livre au titre accrocheur, Les Bémols de Staline(Fayard, Paris, 2020). Il est rare que les confidences des grands interprètes soient très révélatrices de leur démarche musicale. Les véritables reflets de leur personnalité, ce sont leurs concerts et leurs enregistrements. Rojdestvenski n’y fait pas exception. Il aime les anecdotes. C’est l’expérience d’un grand chef d’orchestre qui a marqué son époque, peut-être avec des conceptions sur la carrière qui datent d’un autre temps et une légère tendance à enjoliver. Mais on peut lire entre les lignes. Sur certains sujets, il nous laisse sur notre faim, par exemple la technique de la direction ou son enseignement qu’il ne fait qu’effleurer. Dommage, car ses master classes étaient passionnantes. Les répétitions, il n’aimait pas. On se souvient de certaines relations tumultueuses avec les orchestres français. Les Viennois se plaignaient aussi de ses répétitions écourtées. Et on pourrait continuer cette lecture sous l’angle anecdotique. Mais ce livre a un autre visage, beaucoup plus fort : le témoignage d’un musicien dans la Russie soviétique, de la guerre froide à la perestroïka. Ici, la personnalité de l’homme éclate et le livre se laisse dévorer. Tous ceux qui ont fréquenté l’administration soviétique de la musique y reconnaîtront l’autre côté du miroir (ou du mur) auquel ils se sont heurté. Oublions les petits coups de patte qui égratignent certains collègues. C’est malheureusement usuel dans tous les pays et à toute époque. Et retenons le témoignage historique.

Les metteurs en scène d’opéra s’appliquent souvent à vouloir donner une signification sociale ou politique à des ouvrages qui n’en ont pas. Par contre, la programmation des grandes scènes lyriques internationales laisse soigneusement de côté des opéras dont le livret est résolument engagé. C’est le propos de ce qu’on appelle « opéra sauvetage », parfois désigné comme « opéra délivrance ». Le principe est simple : l’action consiste à obtenir la délivrance d’un héros injustement emprisonné, la trame du livret permettant de faire passer un message de lutte contre les privations de liberté abusives. Le seul opéra du genre qui reste au répertoire, c’est Fidelio. Pourtant le modèle avait été fixé dès le XVIIIe siècle, avec les livrets de Sedaine mis en musique par Grétry (Richard Cœur de Lion) ou Monsigny (Le Déserteur). La Révolution française avait amplifié le phénomène et des compositeurs comme Cherubini et surtout Spontini, avec La Vestale, y avaient contribué. C’est cet aspect qui est traité dans le livre de Charlotte Saulneron, L’Opéra sauvetage, L’effet de mode révolutionnaire (L’Harmattan, Paris, 2020), une somme musicologique approfondie qui va bien au-delà d’un historique des ouvrages. Pour le public de l’époque, c’était une compensation au manque de liberté d’expression avec des livrets dont le message passait au premier degré. Pour la musique, c’était souvent plus subtil, car il fallait décoder le sens de telle ou telle allusion, citation ou forme d’écriture, décodage encore plus complexe aujourd’hui où la plupart des références sont oubliées. En ce sens, le travail de Charlotte Saulneron, qui va très loin dans l’analyse, est un guide précieux, illustrations à l’appui. L’idéal serait de pouvoir entendre les exemples musicaux, mais la plupart de ces ouvrages n’ont jamais été enregistrés. Dommage.

Laisser un commentaire