Tout a été dit au cours de l’année Beethoven, malgré la pandémie qui nous a évité une overdose d’intégrales en tout genre. L’année Saint-Saëns n’en est qu’à mi-parcours et les découvertes vont bon train. Pour être juste, force est de reconnaître que le retour en grâce était amorcé depuis quelques années, d’abord outre-Rhin et en Europe centrale où le classicisme de l’auteur du Carnaval des animauxn’était pas considéré comme une maladie honteuse, puis au disque grâce à quelques interprètes déterminés comme Jean-Jacques Kantorow ou Jacques Mercier. Aujourd’hui, l’œuvre de Saint-Saëns fait l’objet d’une édition critique monumentale chez Bärenreiter qui vient enfin remplacer les éditions d’origine Durand, parfois illisibles à force d’avoir été réimprimées et toujours truffées d’erreurs. Tout va bien, donc. Rien à ajouter ?
Si. Deux livres qui viennent de paraître, consacrés à nos deux musiciens et qui vont résolument à l’encontre de toute démarche biographique ou musicologique : Beethoven en 250 anecdotesde Dominique Reniers (L’Harmattan) et Croquer Saint-Saënsde Stéphane Leteuré (Actes Sud). Le premier part à la découverte de l’homme Beethoven, celui que son génie occulte, celui que la postérité a idéalisé. Le second nous raconte Saint-Saëns à partir des innombrables caricatures dont il a été l’objet et qui nous montrent l’homme tel qu’il était perçu par ses contemporains.
Le caractère bohème de Beethoven, accentué par sa surdité et sa misanthropie apparaissent de manière éparse dans quantité d’ouvrages au travers des témoignages de ses proches. Mais Dominique Reniers a voulu aller plus loin en les croisant et en les analysant.

Un homme fier, d’abord, refusant par exemple de s’effacer au cours d’une promenade pour laisser passer la famille impériale et sa cour. Ou, prenant son chapeau et partant sur le champ lorsqu’il découvre qu’il n’a pas sa place à table lors d’une soirée où il devait se livrer à des improvisations au piano.
Insoumis, refusant de paraître dans un dîner auxquels participaient des officiers français en 1806. Il est vrai que les circonstances d’occupation sont propices à des situations inconfortables. Mais Beethoven ne s’embarrasse jamais de conventions formelles.
Sa passion pour les arbres, un écolo avant la lettre.
Son désordre légendaire : un jour, les esquisses du Kyrie de la Missa solemnisavaient disparu. Il les avait laissées dans la cuisine et c’est la cuisinière qui les avait récupérées pour emballer la motte de beurre.
Autre anecdote insolite, comment il a été arrêté et emprisonné pour avoir été pris pour un vagabond ou pour un espion.
Beethoven était un homme comme les autres, avec ses qualités et ses défauts, ses excès et ses passions, sans oublier les histoires de famille comme malheureusement il en existe beaucoup..
Saint-Saëns était une star. On mesure mal aujourd’hui l’importance de sa carrière de pianiste qui l’a fait voyager dans le monde entier. Il en a rapporté du matériel qui a nourri bon nombre de ses œuvres d’inspiration exotique. Aujourd’hui, il serait photographié sous toutes les coutures, selfisé et instagramisé. Mais le voir ainsi croqué nous en apprend davantage que n’importe quelle photo. En couverture du livre, on voit Alfred Le Petit le représenter en train de concocter la recette de son opéra Henri VIII : dans une marmite bouillonnante, il ajoute généreusement du sel Verdi et du poivre Auber pour souligner le traditionnalisme de sa musique, que confirme l’orientation vers le bas de la queue des notes qui s’en dégagent.

Son nez et sa barbe prêtent à toute sorte d’excès, mais il faut s’attarder aux nombreux dessins qui le représentent au piano, généralement assis assez haut et les mains nettement au-dessus du clavier, parfait exemple d’une école de piano française qui sera remise en cause par Alfred Cortot et Marguerite Long. J’ai un faible pour les dessins de Fauré (oui, il savait dessiner autre chose que des notes de musique !), notamment Camille pinçant la harpe, où les cordes sont attachées sur un nez démesurément long, et Saint-Saëns en garde nationaloù l’auteur du livre nous donne quantité de détails sur ces évènements qui ont marqué le capitale, il y a un siècle et demi. Stéphane Leteuré n’en est pas à son premier ouvrage sur Saint-Saëns et les recherches qu’il a menées sur les voyages du musicien comme sur la dimension politique de sa carrière mettent en lumière un homme résolument engagé, farouchement anti-allemand et dont les relations avec les syndicats de musiciens n’ont pas toujours été très cordiales. Beaucoup de choses à apprendre.
Dominique Reniers, Beethoven en 250 anecdotes, L’Harmattan, Paris (2021).
Stéphane Leteuré, Croquer Saint-Saëns, une histoire de la représentation du musicien par la caricature, Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, Arles (2021).