Seize mois après (suite)

Alain Pâris
Ecrit par Alain Pâris

Alors que la France transpire, la Roumanie est sous l’eau. Mais c’est moi le coupable : a-t-on idée de programmer une œuvre intitulée Le Déluge quand il fait beau ? La météo a voulu s’aligner, élémentaire. C’est donc par un temps pluvieux qu’a commencé la répétition, ce matin, avec le prélude du Délugede Saint-Saëns. Les années anniversaires ont cette vertu qui nous incite à remettre à l’honneur des œuvres oubliées. Ce prélude était l’un des bis favoris de Jacques Thibaud. On en trouve plusieurs versions sur Youtube, dont une enregistrée du vivant de Saint-Saëns (avec une large coupure due à la durée réduite des faces de 78 tours). Et pour aiguiser la curiosité des curieux, on trouve aussi une version où le compositeur accompagne au piano le violoniste Gabriel Willaume en 1919. 

Aujourd’hui, nous revenons à la version originale et intégrale, avec orchestre. C’est le violon solo de l’orchestre, Stefan Epuran, qui tient cette belle partie avec beaucoup de talent. Le temps de régler deux ou trois détails, et c’est prêt pour le concert. Il n’en va pas de même avec l’œuvre suivante, la seule qui n’est pas signée Saint-Saëns dans ce programme. Elle est due à un compositeur italien, Livio Bollani, et c’est une création. Nous devions la jouer l’année dernière, car elle a été écrite à la mémoire des victimes des attentats terroristes du 13 novembre 2015 à Paris, notamment au Bataclan. D’où son titre, November, 13. Hommage à ces victimes cinq ans après. C’est un triptyque pour cordes dont la partie centrale cherche à reconstituer les horreurs de l’attaque, moins sur le plan sonore que sur le plan rythmique : de courtes séquences sur des rythmes irréguliers s’enchaînent pour recréer l’horreur de la situation. Le tout complété par des effets spéciaux comme les doigts qui frappent sur la caisse des instruments ou les archets qui raclent volontairement les cordes au lieu de les frotter, effets dont on imagine à quoi ils correspondent, malheureusement. Cette petite séquence dure à peine trois minutes, mais elle demande un énorme travail de précision et de concentration. Mes baguettes rafolent de ce genre de musique : elles se sentent encore plus utiles. A mon avis, si elles croisent Coronallegro ou Coronadagio, elles ne risquent rien avec un tel armement antiterroriste. 

La première lecture, nous l’avions faite en fin de répétition. J’ai compris que c’était une erreur. Les musiciens étaient fatigués. Aujourd’hui, nous l’avons attaquée après la pause. Le petit café de 11h ou la cigarette ont toujours un effet salutaire. Certes, il y a encore du chemin à faire, mais nous avons perçu ce que voulait le compositeur. C’est difficile d’être les premiers à jouer une œuvre nouvelle. Nous n’avons aucune référence audio. Par bonheur, les volets extrêmes sont plus traditionnels d’écriture, donc plus faciles à mettre en place. 

Aujourd’hui, c’est aussi le premier contact avec le soliste du concert, le violoniste Gabriel Croitoru. Nous avons déjà joué ensemble, un grand artiste avec lequel tout est facile. On pourrait presque donner le concert sans avoir répété. Il a travaillé en France et parle très bien notre langue. Quelles sonorités il tire de son violon ! un instrument prestigieux, le Guarnerius de Georges Enesco.

Saint-Saëns, caricature d’époque

La symphonie pose quelques problèmes à cause des parties sur lesquelles jouent les musiciens. Depuis le milieu du XIXe, l’éditeur d’origine s’est contenté de faire de nouveaux tirages, année après année. Avec l’usure des planches, la lisibilité est devenue problématique. Mais tant que cette musique n’était pas tombée dans le domaine public, d’autres éditeurs n’avaient pas le droit de s’en emparer pour faire du travail correct. Aujourd’hui, la machine est en marche et une nouvelle édition critique de l’œuvre de Saint-Saëns a été entreprise (en Allemagne !). Mais cette symphonie ne fait pas partie des publications de première nécessité, donc débrouillez vous. Et nous nous retrouvons dans une situation bizarre avec des parties de cordes à peu près correctes, alors que celles des vents sont de vieilles copies manuscrites piratées à l’époque communiste, moins illisibles semble-t-il (c’est un euphémisme). Ce genre de piratage était alors monnaie courante. Dès qu’un orchestre des pays de l’Est voyait passer un matériel protégé, dont la location avait été généralement prise en charge par nos ambassades, une armada de copistes se mettait au travail (les photocopieuses étaient proscrites) et, en une nuit, l’affaire était réglée, sans sortir la moindre devise convertible. Mais à quel prix pour le chef d’orchestre et ses musiciens. La pêche aux fautes était ouverte. Je me souviens avoir utilisé un matériel de ce genre en Russie où j’ai relevé plus de 250 fautes. Ici, nous n’en sommes pas là, mais par moment il faut se transformer en Sherlock Holmes de la fausse note. Enfin, tout est réglé, il n’y a plus qu’à jouer. 

En direct dès ce jeudi 17 sur Facebook @BacauPhilharmonic

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