Une truite souriante

Alain Pâris
Ecrit par Alain Pâris

Une truite gentille… un pêcheur attentionné… cinq musiciens déchaînés… en route vers un Nouveau Monde où pessimisme et morosité sont proscrits. 

Je me souviens d’une conversation avec un illustre chocolatier parisien, Robert Linxe, aussi fin mélomane que subtil créateur de remarquables gourmandises, dialogue qui s’était terminé sur un constat sans appel : le chocolat devrait être remboursé par la Sécurité Sociale, comme tous les antidépresseurs. A mon humble avis, une heure de Truite prescrite par Accordzéâm relève de la même thérapie. Aucune anesthésie ni examen préalable, hospitalisation de début de soirée au Théâtre du Gymnase, on en sort revigoré en regrettant peut-être de ne pas avoir tout saisi tant le propos est riche et truculent, mais jamais excessif grâce à la mise en scène d’Eric Bouvron. Bien sûr, la Truite, c’est celle de Schubert à laquelle nos cinq musiciens acteurs (et récitant pour l’un d’entre eux — le violoniste Raphaël Maillet) font subir les traitements les plus audacieux. La variation classique est un exercice bien pâle par rapport au voyage musical de notre gentil poisson : du tango au jazz, du rap aux musiques du terroir, dix-huit moyens d’expression, le tout agrémenté de clins d’œil qu’il ne faut pas rater, comme des éclairs. Bien sûr, la Truite ne respecte pas tous les canons et finit par être mise à l’amande ( !!!). Variations en 3D. 

Les spectacles comiques autour du répertoire classique sont légion depuis trente ou quarante ans. Le Quatuor a fait œuvre de pionnier, relançant une vieille tradition de l’entre-deux-guerres, mais avec un langage et des moyens d’une autre époque. Les Désaxés, la Framboise frivole, D.I.V.A., pour ne citer qu’eux avaient tous la même approche : une promenade dans un répertoire aussi large que possible où les enchaînements reposaient sur la juxtaposition de musiques différentes. Et, à l’usage, il devenait difficile de lutter contre un phénomène d’usure qui sonnait la fin de parcours pour tous ces groupes. 

Le pari des cinq musiciens d’Accordzéâm est plus audacieux : une source musicale unique avec laquelle il faut tenir le public en haleine pendant une heure. Une œuvre subsidiaire surgit néanmoins à point nommé, conclusion imprévisible qui aide à sortir de cette spirale étourdissante. Effet de surprise oblige, je n’en dirai pas davantage.

Pari sur la musique, pari sur les modes d’expression. Raphaël Maillet a conçu un texte qui sert de fil conducteur, fil ténu certes, mais on n’en demande pas plus. La musique fait le reste avec un travail instrumental remarquable de diversité et de qualité (là où d’autres groupes sont vite tombés dans l’à-peu-près). La force de nos comparses, qui revendiquent un partenariat d’une vingtaine d’années, c’est l’éclectisme de leur parcours : du baroque au jazz, du classique au « trad », de l’électro à la chanson. Si vous pensez qu’une contrebasse ne peut pas jouer juste dans l’aigu, écoutez Nathanaël Malnoury (en alternance avec Sylvain Courteix). Si vous croyez impossible de faire émerger une mélodie d’un seul bongo ou d’un seul conga, écoutez Franck Chenal. Des sonorités de la palette orchestrale manquent à l’appel ? SOS accordéon, alias Julien Gonzales, avec la complicité de Jonathan Malnoury (hautbois et guitare).

A consommer sans modération.

© Anaëlle Trumka © Tmt.photo © Sabine Trensz

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