« Mes musiques de film, difficile de les entendre, elles sont toutes mortes dans des boites en fer », terrible réponse de Jean Wiéner au jeune Vladimir Cosma, grand admirateur de ses musiques de film, mais pas encore très au fait des usages cinématographiques de l’époque. Vladimir Cosma ignorait que les musiques de film étaient alors enregistrées sur le même support que l’image et en étaient donc indissociables. Fraîchement débarqué à Paris, après avoir quitté sa Roumanie natale où il avait reçu une solide formation de violoniste et de compositeur, il avait également une certaine expérience dans le domaine de la musique de film ; mais à l’époque du rideau de fer, tout était différent entre l’Est et l’Ouest. Sans connaître cette première partie de la vie de Vladimir Cosma, il est difficile d’appréhender la diversité et la richesse de son parcours. Il n’était pas le premier musicien roumain à choisir la voie de la liberté. C’est son père, lui-même musicien, qui avait fait ce choix au début des années soixante. Choix terrible, on le découvre aujourd’hui avec le voile qui se lève peu à peu sur les conditions d’émigration des juifs roumains. Cosma est discret sur le sujet, mais un autre ouvrage paru récemment en dit bien davantage : un véritable troc où l’être humain s’échangeait comme du bétail, bétail que le régime du prédécesseur de Ceaucescu avait eu l’idée d’importer pour en faire l’élevage et l’exporter en grande quantité. Sans l’aide de parents ou d’amis de la diaspora, il n’y avait aucun espoir de quitter le pays. Et après, il fallait rembourser la dette. Plus tard, les musiciens des orchestres roumains en tournée occidentale tentés par des velléités d’exil paieront cher le prix de leur liberté et devront attendre longtemps que leur famille puisse les rejoindre.
Mais revenons à Cosma devenu parisien. La musique de Jean Wiéner enfermée dans des boites en fer, c’est un véritable choc pour le jeune Vladimir et il se jure que sa propre musique ne connaîtra jamais le même sort. Cosma deviendra l’un des acteurs majeurs de cette révolution qui a donné aux partitions écrites pour l’écran une identité propre, ce que confirment les nombreux concerts de ses musiques de film. Jean Wiéner, c’était un second père pour lui, son père artistique d’adoption comme il le définit. Wiéner le laissait travailler sur ses pianos à volonté, sans compter les précieux conseils et le carnet d’adresse que l’on imagine.
La suite de l’histoire, c’est une succession de rencontres, de films plus célèbres les uns que les autres (plus de trois cents), du Grand Blond à La Boum, de Rabbi Jacob à La Chèvre, de La Gloire de mon père au Dîner de cons, … Autre rencontre essentielle, Michel Legrand, dont il devient l’assistant et à qui il doit sa première musique de film, en 1968 : Alexandre le bienheureux, début de sa collaboration-amitié avec Yves Robert qui lui a appris à ne jamais surcharger les effets et à donner à la musique une totale indépendance par rapport à l’action. Un exemple parmi d’autres : le Grand blond, cet espion qui descend l’escalier mécanique à Orly sur le fameux thème à la flûte de pan issu du folklore roumain, musique aux antipodes de la situation. Néanmoins, en cherchant bien, un thème évoquant un pays de l’Est, nid d’espion, ça fonctionne. Mais imaginez la même scène signée Bernard Herrmann pour un film d’Alfred Hitchcock ! Ce ne fut pas facile pour Cosma. Convaincre réalisateur et producteurs, puis trouver l’instrumentiste. Seul Simion Stanciu « Syrinx » pouvait convenir, mais les autorités roumaines refusaient de lui donner un visa et proposaient trois autres noms. Ce fut finalement Gheorghe Zamfir et le succès du film assura le démarrage de sa fulgurante carrière.
« La musique de film est comme un caméléon : elle prend la couleur de l’image, et jamais le contraire ». Il n’y a pas de modèle unique en matière de musique de film : les partitions des grands aînés, Honegger, Delannoy, Thiriet, Jaubert ; plus tard celles de Maurice Jarre, Nino Rota, Delerue, Morricone ou Miyazaki ; toutes relèvent d’une approche différente, approche qui vire à l’illustration musicale dans certains films de Visconti ou de Tarantino où Mahler, Rachmaninov et bien d’autres remplacent les véritables créateurs de musique. D’où la valeur irremplaçable de compositeurs aussi polyvalents que Vladimir Cosma, à la fois compositeur fonctionnel et compositeur poétique. Au fil des années, ce sont toutes les formes de création qui vont surgir de sa plume, chansons (Reality pour La Boum), folklore (réel ou inventé, la Danse des jeunes hassidiques dans Rabbi Jacob), un sens mélodique intarissable, et un savoir-faire qui se retrouve dans ses œuvres pour l’opéra (Marius et Fanny) ou pour le concert.
« La musique de film est comme un caméléon : elle prend la couleur de l’image, et jamais le contraire ». Il n’y a pas de modèle unique en matière de musique de film : les partitions des grands aînés, Honegger, Delannoy, Thiriet, Jaubert ; plus tard celles de Maurice Jarre, Nino Rota, Delerue, Morricone ou Miyazaki ; toutes relèvent d’une approche différente, approche qui vire à l’illustration musicale dans certains films de Visconti ou de Tarantino où Mahler, Rachmaninov et bien d’autres remplacent les véritables créateurs de musique. D’où la valeur irremplaçable de compositeurs aussi polyvalents que Vladimir Cosma, à la fois compositeur fonctionnel et compositeur poétique. Au fil des années, ce sont toutes les formes de création qui vont surgir de sa plume, chansons (Reality pour La Boum), folklore (réel ou inventé, la Danse des jeunes hassidiques dans Rabbi Jacob), un sens mélodique intarissable, et un savoir-faire qui se retrouve dans ses œuvres pour l’opéra (Marius et Fanny) ou pour le concert.
Ses mémoires « du Rêve à Reality », tournent parfois à un catalogue de belles expériences artistiques et de rencontres avec les plus grandes figures de l’écran. Si on l’ignorait encore, Louis de Funès était un perfectionniste, Pierre Richard avait eu bien du mal à apprendre des rudiments de violon, … Pour les musiciens, Cosma est plus intéressant lorsqu’il lève le voile sur ses procédés d’écriture, l’usage atypique des mélanges instrumentaux pour créer des couleurs inattendues, le modus vivendi des musiciens d’orchestre parisiens qui « cachetonnaient » avec plaisir pour enregistrer des musiques de film (bien écrites et bien payées), une page révolue de notre histoire musicale maintenant que l’enregistrement de ces partitions a émigré à Londres puis en Europe centrale, pour des raisons économiques. Il n’en demeure pas moins que la musique de film a acquis des lettres de noblesse et une indépendance qui lui permet d’être au centre du répertoire des concerts symphoniques. Ceci, grâce à tous ceux qui l’ont sortie des boites en fer.
Vladimir Cosma, Mes Mémoires, du Rêve à Reality, Plon, 2022.